Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/214

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voulut fonder une Revue patriotique ; il fit une visite à Goethe pour lui communiquer ses intentions, et lui demander conseil et appui. À cette occasion, ils eurent ensemble une conversation très-importante, qui complète celle qui précède.

Luden avait exposé à Goethe tous ses projets ; Goethe prit la parole et dit :

« Certainement, dans un moment d’animation, pour ne pas dire d’exaltation, comme celui où nous sommes, je trouve votre idée assez naturelle. Avez-vous fait toutes vos dispositions avec un éditeur, et votre décision est-elle irrévocablement prise ? » — « L’annonce de la Revue, répondis-je, est déjà à l’impression, et sera publiée sous peu de jours, à moins que le Ministère n’élève quelque difficulté ; et c’est pour ce motif que j’aurais voulu mettre l’entreprise sous la protection de Votre Excellence. » — Goethe resta silencieux à peu près pendant une minute ; son visage avait une expression très-sérieuse ; puis il se leva, et me parla ainsi : « Il y a quelques années, j’ai une fois causé avec vous sans réserves, comptant sur votre discrétion ; aujourd’hui, Monsieur le conseiller aulique, je veux encore agir de même. Comme fonctionnaire public, je n’ai rien à dire contre la publication d’une Revue. Si notre gouvernement empêchait aujourd’hui une pareille entreprise, il s’exposerait certainement aux blâmes les plus énergiques. Nous avons combattu glorieusement pour la liberté, répandu beaucoup de sang pour la conquérir ; il faut donc nous en servir. Nous en servir en parlant et en écrivant, c’est notre penchant le plus naturel, parce que cet usage de la liberté est le plus aisé de tous. Par conséquent le gouvernement du grand-duc vous laissera certainement vos coudées franches. Quant à une protection, on ne peut ni