Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/230

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rôti encore assez à temps, et je lui dis que je ne me sentais pas le besoin de voir les fous qu’on enfermait ; que j’avais parfaitement assez de ceux qui circulaient librement. Je suis prêt, lui dis-je, à suivre Votre Altesse dans l’enfer, s’il le faut, mais non dans une maison de fous.

— Ah ! comme je me serais amusé à manier à ma façon les trente-neuf articles, et à jeter les bonnes populations dans l’étonnement ! »

« Vous auriez pu vous donner ce plaisir sans être évêque. »

« Non, sans ce titre je me tiendrais tranquille ; il faut être très-bien payé pour mentir de la sorte. Sans l’espérance du bonnet d’évêque et des 30 000 livres par an, je ne m’y entendrais pas. J’ai déjà d’ailleurs fait un peu mes preuves en ce genre. Enfant de seize ans, j’ai écrit sur la descente du Christ aux Enfers une poésie dithyrambique qui est même imprimée, mais qui n’est pas connue[1], et qui, ces jours-ci, m’est pour la première fois retombée sous la main. Le poëme est plein d’idées bien orthodoxes, bien bornées, et me sera, pour entrer au ciel, un délicieux passe-port. N’est-ce pas, Riemer ? Vous le connaissez ? »

« Non, Excellence, répondit Riemer, je ne le connais pas ; mais je me rappelle que, dans les premières années de mon séjour ici, vous avez été gravement malade, et que, dans votre délire, vous récitiez de très-beaux vers sur ce sujet. C’étaient sans doute des souvenirs de ce poëme de votre première jeunesse. »

« La chose est très-vraisemblable, dit Goethe. Je connais un fait de ce genre : Un vieillard était à l’agonie ;

  1. Elle est aujourd’hui imprimée à la tête de ses œuvres.