Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

endurait tout avec la plus grande bienveillance, quelque incommode que dût être pour un vieillard de son âge le poids d’un enfant de dix ans. « Mais, cher Wolf, dit la comtesse, ne tourmente donc pas ainsi ton bon grand-père ! tu vas le fatiguer. » — « Cela ne fait rien, répondit Wolf, nous allons bientôt aller nous coucher, et grand-père aura bien le temps de se reposer. » — « Vous voyez, dit Goethe, que l’amour est toujours d’un naturel assez impertinent. »

On parla de Campe[1] et de ses livres pour les enfants. Goethe dit : « Je n’ai rencontré Campe que deux fois dans ma vie. Après un intervalle de quarante ans je le revis à Carlsbad. Je le trouvai alors très-vieilli, sec, roide, réservé. Il avait toute sa vie écrit pour les enfants, moi je n’avais pas du tout écrit pour les enfants, pas même pour les enfants de vingt ans. Aussi il ne pouvait pas me souffrir. J’étais une épine dans son œil, une pierre d’achoppement, et il faisait tout pour m’éviter. Cependant le sort me mit un jour tout à côté de lui, il ne pouvait s’empêcher de m’adresser quelques mots : « J’ai le plus grand respect pour les facultés de votre esprit, me dit-il, vous avez dans différentes branches atteint une hauteur qui étonne. Mais, voyez-vous, tout cela ne me va pas et je ne peux pas attribuer à ces choses la valeur que d’autres personnes leur donnent. » — Cette liberté de langage peu galante ne me blessa en aucune façon, et je lui répondis mille choses aimables. C’est qu’aussi je tiens grand compte de Campe. Il a rendu des services infinis aux enfants, il est leur adoration et pour ainsi

  1. Né en 1746, mort en 1818. Il a écrit une trentaine de volumes pédagogiques.