Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/252

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sommes redevables maintenant, car grâce à son coup de génie, nous ne verrons pas de sitôt l’Europe tranquille. »

Nous parlâmes ensuite de Rouge et Noir, que Goethe considère comme le meilleur ouvrage de Stendhal. — « Cependant je ne peux nier, dit-il, que quelques-uns de ses caractères de femmes ne soient un peu trop romantiques, mais tous témoignent d’une grande observation et d’un profond coup d’œil psychologique, et on pardonne sans peine à l’auteur quelques invraisemblances de détail[1]. »

Mardi, 23 janvier 1831.

Chez Goethe, avec le prince. Ses petits-fils s’amusaient à des tours de passe-passe que Walter surtout exécute très-bien. — « Je ne vois pas de mal, dit Goethe, à ce que les enfants remplissent par ces folies leurs heures de loisir, surtout lorsqu’il y a un petit public, c’est un excellent moyen pour les habituer à parler aisément, et pour donner à leur esprit et à leur corps un peu de

  1. Dès l’année 1818 Stendhal avait attiré l’attention de Goethe. Le 8 mars 1818, il envoya à Zelter deux longs passages sur le compositeur Mayer et sur la musique en Italie. « Ces détails, ajoutait-il, sont extraits d’un livre singulier (Rome, Naples et Florence en 1817, par M. Stendhal, officier de cavalerie. Paris, 1817) qu’il faut absolument que tu te procures. Le nom est emprunté ; ce voyageur est un Français plein de vivacité, passionné pour la musique, la danse, le théâtre. Ces deux échantillons te montrent sa manière libre et hardie. Il attire, il repousse, il intéresse, il impatiente, et enfin on ne peut se séparer de lui. On relit toujours ce livre avec un nouveau charme, et on voudrait en apprendre par cœur certains passages. Il semble être un de ces hommes de talent qui, comme officier, employé, ou espion, peut-être avec les trois fonctions, ont été poussés çà et là par le balai de la guerre. Il a vu beaucoup par lui-même ; il sait aussi très-bien mettre en œuvre ce qu’on lui rapporte, et surtout il sait très-bien s’approprier les écrits étrangers. Il traduit des passages de mon Voyage en Italie et affirme avoir recueilli l’anecdote sur les lèvres c9 d’une Marchesina. En un mot, c’est un livre qu’il ne suffit pas de lire, il faut le posséder. »

Errata :

c9. texte corrigé, voir ERRATA, IIe volume