Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/253

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dextérité, ce que nous autres Allemands nous n’avons pas en excès. Cet avantage compense la petite vanité que ce jeu peut exciter. » — « Les spectateurs arrêtent cette vanité à sa naissance, dis-je, car en général ils suivent très-attentivement les doigts du petit prestidigitateur, pour railler ses maladresses et surprendre à sa honte ses secrets. » — « C’est comme les acteurs, dit Goethe ; aujourd’hui rappelés, demain ils seront sifflés, ce qui maintient tout dans la bonne voie. »

Mercredi, 9 février 1831.

Je lisais hier avec le prince la Louise de Voss[1], et je faisais en moi-même mainte remarque. Toute la partie descriptive est ravissante, mais les idées échangées dans les conversations me semblent un peu médiocres. Dans le Vicaire de Wakefield on voit aussi un ministre de campagne et sa famille, mais l’auteur avait une grande culture intellectuelle qu’il a communiquée à ses personnages et leur esprit est bien plus riche. Dans la Louise, tout est plus borné ; tout se tient dans un cercle étroit qui, il est vrai, est assez large pour beaucoup de lecteurs. L’hexamètre aussi me paraissait trop prétentieux, souvent forcé, affecté, et le style ne me semblait pas assez coulant. — J’exprimai toutes ces idées à Goethe en dînant avec lui aujourd’hui ; il me répondit : « Les premières éditions étaient à ce point de vue bien supérieures, et je me rappelle avoir eu du plaisir à lire le poëme à haute voix. Mais plus tard Voss a raffiné, ses idées théoriques l’ont conduit à gâter la légèreté et le naturel de ses vers. Aujourd’hui le mérite technique préoccupe avant tout, et

  1. Eckermann était devenu un des précepteurs du prince, fonction qui lui a valu plus tard la dignité de conseiller aulique.