Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/262

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Je lui ai parlé du grand Cophte, que j’ai lu ces jours-ci. Après l’avoir analysé scène par scène, je concluais avec le désir de le voir un jour sur la scène.

« Je suis heureux, a dit Goethe, que la pièce vous ait plu, et que vous ayez su y découvrir tout ce que j’ai voulu y mettre. Ce n’était pas une petite affaire que de donner d’abord de la poésie à un fait tout à fait réel, et ensuite de le rendre propre à la scène. Et cependant vous avouerez que tout est parfaitement calculé pour le théâtre. Schiller aimait aussi cette pièce, et nous en avons un jour donné une représentation qui eut devant un public d’élite un brillant succès. Mais pour le public en général, elle ne vaut rien ; ces crimes lui inspirent toujours un certain éloignement qui l’empêche d’avoir du plaisir. Cette pièce a un caractère de hardiesse qui la rapproche tout à fait du théâtre de Clara Gazul, et le poète français pourrait vraiment me porter envie de lui avoir pris d’avance un si bon sujet. Je dis que le sujet est bon parce que son importance n’est pas seulement morale, mais aussi historique ; l’aventure précède immédiatement la Révolution française et en est pour ainsi dire le point de départ. La reine, impliquée dans l’histoire si fâcheuse du Collier, perdit sa dignité ; l’estime même lui fut retirée, et ainsi fut ébranlé ce qui rendait sa personne inviolable dans l’esprit du peuple. La haine ne fait de mal à personne, mais le mépris, voilà ce qui renverse. Kotzebue fut haï longtemps, mais pour que le poignard d’un étudiant osât s’attaquer à lui, il fallut que certains journaux l’eussent d’abord rendu méprisable. »

Jeudi, 17 février 1831.

Dîné avec Goethe. Je lui rapporte son Séjour à Carlsbad,