Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/269

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de vue plus élevé, ou sinon le laisseront engagé dans d’évidentes contradictions. Ces professeurs d’utilité disent bien : Le bœuf a des cornes pour se défendre. Mais moi je demanderai : et le mouton, pourquoi n’en a-t-il pas ? et lorsqu’il en a, pourquoi sont-elles enroulées autour de son oreille, de telle façon qu’elles ne lui servent à rien ? — Mais c’est autre chose, si je dis : le bœuf se défend avec ses cornes parce qu’il les a. — La question du but, la question pourquoi, n’a absolument rien de scientifique, — On va plus loin avec la question comment ? Car si je demande : comment les cornes viennent-elles au bœuf ? ma question me conduit à examiner son organisation, et j’apprends alors pourquoi le lion n’a pas et ne peut pas avoir de cornes[1]. Ainsi l’homme a dans son crâne deux places creuses. Avec la question pourquoi je n’irai pas loin, mais la question comment m’enseigne que ces creux sont des restes du crâne animal, qu’ils se trouvent mieux marqués chez les organisations inférieures, et que chez l’homme, malgré sa supériorité, ils n’ont pas encore tout à fait disparu. Les professeurs d’utilité croiraient perdre leur Dieu, s’ils ne devaient pas adorer Celui qui a donné au bœuf les cornes afin qu’il s’en servît pour sa défense. Mais on me permettra d’adorer Celui qui dans ses créations était si grand et si riche, qu’ayant fait des milliers de plantes, il en fit encore une qui les contenait toutes, et qu’ayant fait des milliers d’animaux il en fit un qui les contenait tous : l’homme. — Que l’on vénère Celui qui donne aux bestiaux le fourrage, et à l’homme à manger et à boire autant qu’il est nécessaire, moi j’adore Celui qui a déposé dans l’univers une

  1. Voir dans les poésies de Goethe la Métamorphose des Animaux.