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— « Il faudrait, dis-je, qu’un bon poëte de l’école romantique arrangeât la pièce en opéra, et que Rossini réunit toutes ses forces pour écrire la musique d’Hélène. Il y a là une occasion comme on en trouve rarement pour de splendides décorations, de rapides changements à vue, des costumes éblouissants, de délicieux ballets, sans compter que tous ces plaisirs pour les yeux ont comme point d’appui une fable d’une valeur telle, qu’on n’en découvrirait pas aisément une meilleure. »

« Attendons, dit Goethe, ce que les dieux nous donneront. Il ne faut rien hâter en ces matières. Il faut que la pièce se fasse peu à peu connaître des hommes, et que les directeurs de théâtre, les poëtes et les compositeurs trouvent un avantage à la faire jouer. »

Mardi, 22 février 1831.

Le conseiller supérieur du consistoire[1] Schwabe me rencontre dans la rue, je l’accompagne un peu, et il me parle de ses diverses occupations. Il me dit que dans ses heures perdues il prépare l’édition d’un petit volume de sermons, qu’un de ses livres pour les écoles vient

  1. Eckermann a voulu donner ici un exemple de la tolérance pratique de son maître. Il est en effet curieux de voir Goethe engager son disciple à fréquenter un défenseur ardent de la religion protestante. On sent dans les paroles de Goethe la sérénité et la tranquille indulgence d’une conviction sûre d’elle-même. Il cherche à faire d’Eckermann ce qu’il était lui-même : un observateur curieux et paisible de toutes les variétés de caractères humains. Il laisse à chacun sa foi, et garde la sienne. L’unité de pensée n’est peut-être pas impossible dans ce monde, mais elle ne sera que le résultat suprême de l’unité d’enseignement, de l’unité d’études, etc. ; comme les prémisses n’existent pas encore, il ne faut pas exiger la conséquence. Goethe était même si persuadé du droit de chaque individu à l’indépendance, qu’il trouvait l’expression tolérance injurieuse. « Le droit, disait-il, ne doit pas être toléré, il doit être reconnu. Celui qui tolère insulte. » (Pensées, VIIe Partie.)