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« L’homme ne reconnaît et n’apprécie que ce qu’il est capable de faire lui-même, et, comme certaines gens trouvent leur vrai élément dans la médiocrité, ils sifflent, outragent, mettent sous leurs pieds les œuvres littéraires vraiment blâmables, mais dans lesquelles il y a cependant quelques qualités, afin de donner par là une élévation apparente plus grande aux œuvres médiocres qu’ils se plaisent à vanter. »

Nous parlâmes ensuite de sa théorie des couleurs et de certains professeurs qui continuent toujours à en détourner leurs élèves comme d’une grosse erreur. « Cela me fait de la peine pour plus d’un bon élève, dit Goethe, mais pour moi-même cela m’est parfaitement égal, car ma théorie est aussi vieille que le monde, et à la longue il faudra bien ne plus la nier et ne plus la mettre de côté. »

Goethe me raconta ensuite qu’il avançait et réussissait de mieux en mieux dans la traduction de la Métamorphose des plantes, qu’il fait avec Soret[1] « Ce sera un lire curieux, dit-il, car il est formé des éléments les plus divers. J’y fais entrer quelques passages de jeunes

  1. Goethe avait voulu surveiller cette traduction, « parce que, écrit-il à Boisserée, j’ai, pendant toute ma vie, trop souffert dans mes traductions françaises… Dans toutes ces traductions de mes ouvrages, il ne reste guère de moi que mon nom… » Il voulait éviter pour cette œuvre scientifique, qui lui était si chère, les altérations qu’il supportait plus volontiers pour ses œuvres littéraires. Le 24 avril 1831, il écrivait encore : « J’ai traduit dans mon français quelques passages importants que l’ami Soret ne comprenait pas dans mon allemand ; il les a retraduits dans son français, et je crois qu’ils seront peut-être plus intelligibles pour tous dans sa langue que dans le texte original. Une dame française s’est déjà servi heureusement de cet artifice. Elle fait traduire l’allemand mot à mot, et donne ensuite au style le charme qui distingue sa langue et son sexe. Ce sont là des résultats de la formation de la littérature universelle ; les nations pourront plus vite, par ces échanges, s’approprier mutuellement leurs diverses qualités. »