Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/298

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le cœur, la sérénité enjouée d’un homme formé par la vie et par le monde. »

— « Vous pouvez penser, dit Goethe, quel effet cette pièce produisit sur nous, jeunes gens, quand elle parut dans une époque si peu brillante. C’était vraiment alors un météore éblouissant. Elle nous fit comprendre qu’il y avait quelque chose au-dessus de ce que concevait la débile littérature du temps. Les deux premiers actes sont un vrai chef-d’œuvre d’exposition, qui a donné et qui peut donner encore d’excellentes leçons. Aujourd’hui, il est vrai, on ne veut plus entendre parler d’exposition ; on veut, dès la première scène, trouver les effets que l’on attendait autrefois au troisième acte ; on ne pense pas qu’il en est de la poésie comme d’un voyage sur mer, où il faut être à une certaine distance du rivage pour pouvoir déployer toutes les voiles. »

Goethe fit apporter un peu d’un excellent vin du Rhin, que des amis de Francfort lui ont envoyé à son dernier anniversaire. Il me raconta quelques anecdotes sur Merck, qui n’avait un jour pu pardonner au grand-duc d’avoir trouvé excellent un vin médiocre. « Merck et moi, continua-t-il, nous étions toujours l’un avec l’autre comme Méphistophélès et Faust[1]. Il tourna un jour en ridicule une lettre de mon père, écrite d’Italie, dans lequel celui-ci se plaignait de la manière de vivre, mauvaise pour lui, de la nourriture à laquelle il n’était pas habitué, du vin trop épais et des moustiques ; Merck ne pouvait lui pardonner d’avoir été gêné par des minuties comme la nourriture, la boisson, les mouches, lorsqu’il était dans ce pays splendide, au milieu de tant de ma-

  1. Goethe s’est beaucoup servi du caractère de Merck pour tracer le caractère de Méphistophélès.