Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/308

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J’approuvai cette idée, et je rédigeai en peu de temps ces morceaux. Goethe paraissait très-content. J’avais fait deux collections ; à l’une nous mîmes pour titre : Extrait des archives de Macarie[1] ; à l’autre : Pensées dans l’esprit des voyageurs, et, comme Goethe venait d’achever deux poésies remarquables, la Méditation devant le crâne de Schiller, et celle qui commence par : Aucun être ne peut tomber dans le néant.., il voulut aussi les lancer dans le monde, et nous les ajoutâmes encore. Quand les Années de voyage parurent, personne ne sut ce que cela voulait dire. On voyait le cours du roman interrompu tout à coup par une foule de sentences énigmatiques, que pouvaient seuls comprendre tour à tour les hommes du métier, artistes, naturalistes, littérateurs, et qui gênaient fort les autres lecteurs, et surtout les lectrices. Les deux poésies furent aussi peu comprises, et on ne pouvait guère deviner pourquoi elles étaient réunies là. — Goethe en rit[2]. — « Maintenant, dit-il, il faudra dans l’édition de mes œuvres posthumes mettre chaque morceau à sa place, et à la prochaine édition de mes œuvres, les Années de voyage, débarrassées de cette addition, seront de nouveau publiées en deux volumes. »

  1. Personnage symbolique, espèce de Diotime moderne ; son nom est l’anagramme d’America.
  2. Il est impossible d’avoir un plus amusant dédain du public de son temps. Goethe disait alors : « Ce que je fais est purement testamentaire, » et, partant de cette idée, il ajoutait des fragments à ses œuvres comme on écrit des codicilles, sans se soucier beaucoup de l’ordre et de la régularité artistique. Pourvu que l’idée qu’il voulait répandre fût imprimée quelque part, le reste lui était fort indifférent. Il écrivait pour être médité par l’avenir et non pour conquérir le succès du jour.