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non seulement rend possible et provoque un tel livre, mais qui le trouve supportable et récréatif[1] ! »

* Jeudi, 15 juillet 1831.

Un instant chez Goethe. J’allais le remercier au nom du roi de Wurtemberg du plaisir que lui a donné la visite qu’il a faite hier à Goethe. Je le trouvai occupé d’études se rapportant à la tendance spiraloïde des plantes, découverte nouvelle qui, selon lui, conduira très-loin, et aura une grande influence sur les sciences. « Il n’y a rien, dit-il, au-dessus de la joie que nous donne l’étude de la nature. Ses secrets sont, il est vrai,

  1. Le lendemain, 28 juin, Goethe, développant sa pensée dans une lettre à Zelter, écrivait : « Des nouveaux romans français et de toutes les lectures de ce genre que je fais, je ne veux te dire que ceci : C’est une littérature de désespoir, d’où peu à peu s’exilent d’eux-mêmes toute vérité, tout sens esthétique. Notre-Dame de Paris, de V. Hugo, frappe par le mérite d’études attentives et bien mises en œuvre sur les localités, les mœurs, les événements du passé, mais dans les personnages il n’y a pas ombre de vie naturelle. Hommes et femmes sont des marionnettes sans vie ; les proportions en sont très-adroitement calculées ; mais sous ces squelettes de bois et d’acier il n’y a absolument que du rembourrage ; l’auteur les manie sans pitié, les tourne et les retourne, les martyrise, les fouette, met en lambeaux leur corps et leur âme, lacère et déchire sans s’émouvoir ces êtres heureusement dépourvus de vie. Et avec tout cela se montrent des preuves décisives d’un talent historique et oratoire auquel on ne peut refuser une vive puissance d’imagination, sans laquelle d’ailleurs il ne pourrait jamais créer de pareilles abominations. » Au comte Reinhard, il écrivait quelques jours plus tôt, en généralisant son jugement : « Pour avoir une influence sur le moment actuel, il faut que les romanciers tracent des tableaux qui soient les plus opposés possible à tout ce qui pourrait avoir un effet salutaire sur l’homme ; le lecteur ne peut plus échapper aux scènes de ce genre. Pousser à bout, jusqu’à l’impossible, le laid, l’horrible, les cruautés, les bassesses et toute la bande des infamies, voilà leur satanique travail. On doit dire leur travail, car au fond de leurs œuvres il y a une étude attentive des temps anciens, des mœurs disparues, de la curieuse confusion et des événements incroyables des siècles passés ; aussi on ne peut pas dire que leurs livres soient vides et mauvais ; ils sont écrits par des talents incontestables, par