Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/317

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d’une profondeur infinie ; mais il a été permis et accordé aux hommes de regarder toujours plus avant. Et c’est justement parce que nous ne pouvons atteindre le fond qu’elle exerce sur nous un charme éternel ; toujours nous voulons approcher plus près, jeter de nouveaux regards, tenter de nouvelles découvertes ! »

* Mardi, 20 juillet 1831.

Après dîner, une demi-heure avec Goethe, que j’ai trouvé dans une disposition pleine de sérénité et de douceur. Après avoir causé de divers sujets, nous avons parlé de Carlsbad, et Goethe a plaisanté sur les diverses

    des hommes distingués et pleins d’esprit, mais qui se voient, au milieu de leur carrière, condamnés par le temps où ils vivent à s’occuper de ces abominations. » (Lettre du 18 juin 1831). À Boisserée, qui lui avait écrit : « C’est un vrai attentat contre l’esprit humain d’employer un beau talent à tracer des tableaux aussi horribles et de ne chercher à exciter l’intérêt que par des détails d’un genre aussi bas ; on détruit ainsi tout sens pour le noble et le beau, » Goethe répondait : « Je signe chaque mot de votre jugement sur Notre-Dame de Paris. Les chimistes nous parlent de trois degrés de fermentation : le vin, puis le vinaigre, puis la pourriture ; les écrivains français se plaisent en ce moment à vivre dans ce dernier degré. Comment, plus tard, la grappe pourra-t-elle reparaître avec sa beauté naturelle ? Comment se formera de nouveau la vigoureuse et saine fermentation ? Je n’en sais rien. Ils seront bien heureux si les bons vins qu’ils possèdent ne s’altèrent pas aussi pendant cette malheureuse époque artistique. » (Lettre du 20 août 1831). — Plus Goethe vieillissait, plus la sensibilité de son goût devenait irritable. Plus jeune et moins grec, il aurait sans doute accepté Quasimodo et ses aventures au même titre que Caliban ou Thersite ; mais, à quatre-vingts ans, son âme ne pouvait plus supporter que de belles images ; la laideur et la souffrance le rendaient malade. Disons aussi que la première édition de Notre-Dame ne contenait pas les intéressants chapitres sur l’architecture ; ils auraient sans doute un peu réconcilié le paisible disciple de Phidias avec le peintre tourmenté du moyen âge. Cependant, entre ces deux caractères, l’accord complet aurait toujours été difficile, car Goethe, comme Lamartine, a cherché partout, dans la nature, dans la vie, dans l’art, à apaiser et à concilier les grandes antithèses qu’il rencontrait ; le génie de V. Hugo est porté au contraire à les mettre fortement en relief.