Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/351

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notre existence après notre mort, je dis : « Que croyez-vous que l’âme de Wieland puisse entendre, dans ce moment-ci même ? »

« — Rien de mesquin ! dit Goethe, rien d’indigne d’elle ; rien qui ne soit en harmonie avec la grandeur morale qu’il a montrée pendant toute sa vie ! Mais, ajouta-t-il, pour être bien compris de vous, comme je ne traite pas cette question souvent, il faut que je la reprenne d’un peu plus haut. — C’est quelque chose qu’une vie de quatre-vingts ans conduite avec dignité et honneur ; c’est quelque chose que la conquête de pensées aussi délicates que celles dont Wieland avait su remplir son âme, et qui y régnaient avec tant de charme ; c’est quelque chose que cette application, cette persévérance acharnée, cette constance par lesquelles il nous surpassait tous !… »

— « Lui donneriez-vous une place à côté de son Cicéron, dont, jusqu’au jour de sa mort, il a eu tant de bonheur à s’occuper ?… »

— « Ne m’interrompez pas, quand je veux vous développer d’une façon complète et tranquille la suite entière de mes idées……

« Jamais, en aucune circonstance, il ne peut être question dans la nature de la disparition des puissances qui animaient de pareilles âmes ; la nature ne dissipe pas ses capitaux d’une main aussi prodigue. L’âme de Wieland est, par son essence même, un trésor, un vrai joyau. Ajoutez que sa longue vie a fortifié, et non diminué les dons précieux que son esprit possédait. Pensez bien, pensez à ceci ! Raphaël avait à peine trente ans, Kepler à peine la quarantaine, quand tous deux mirent une fin subite à leur existence, tandis que Wieland…… »