Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/369

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et pour rendre visibles à notre esprit les diverses fluctuations et les grands mouvements qui agitent la France.

Le Globe a le caractère de la jeunesse ; le plus vieux de ses rédacteurs n’atteint pas la quarantaine. On ne songe pas là à conquérir les femmes pour lectrices ; tous les écrivains pensent à l’avenir, et ce n’est pas cette pensée qui séduit les femmes. Le Globe se distingue ainsi des journaux allemands qui, en grande partie, sont rédigés par des femmes et pour des femmes.

Les rédacteurs du Globe n’écrivent pas une ligne qui ne soit de la politique, c’est-à-dire qui n’ait pour but d’exercer une action sur le présent. Ils forment une bonne, mais dangereuse compagnie ; on aime à avoir des relations avec eux, mais on sent qu’il faut rester sur ses gardes. Ils ne peuvent ni ne veulent nier leur projet : répandre partout le libéralisme complet. Aussi, ils rejettent, comme routinières, toutes les idées de légalité et de tradition ; cependant, parfois, ils sont forcés d’invoquer ces idées, au moins in subsidium. De là, dans les âmes une oscillation et dans les actes un balancement, qui gênent beaucoup, car on se sent d’abord très-épris de cette liberté pure. — Ce sont des orateurs accomplis, et à celui qui peut ne considérer que leur talent, sans se laisser entraîner par les théories, ils donneront beaucoup de plaisir et de grands enseignements.

— La poésie française, comme la littérature française tout entière, ne se sépare pas un instant de la vie et de la passion du caractère national ; naturellement, elle est maintenant toujours dans l’opposition ; elle recrute tous les talents pour accroître ses forces et abattre ses adversaires ; ceux-ci, étant en possession du pouvoir, n’ont pas besoin d’avoir de l’esprit.

Les vives confidences qu’ils nous font nous permettent de les pénétrer à fond ; la manière plus ou moins favorable dont ils nous jugent, nous apprend, à notre tour, à nous bien juger, et c’est nous rendre grand service que nous forcer à réfléchir sur nous-mêmes……

— Les étrangers, les Anglais, les Américains, les Français et les Italiens ne peuvent rien tirer de notre philosophie nouvelle, parce qu’elle n’a pas de lien immédiat avec la vie. Ils ne peuvent pas en faire sortir des résultats pratiques, aussi ils se tournent tous, plus ou moins, vers les doctrines écossaises, que Reid et Stewart ont exposées. Celles-ci se rapprochent plus de la raison pratique ; de là leur succès. Elles cherchent à réconcilier le sen-