Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/368

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et jouira du bonheur d’exercer paisiblement une haute influence. L’étude attentive de la vie lui indiquera suffisamment les secours et les obstacles que le monde extérieur doit lui apporter ; mais s’il a vraiment un esprit solide et sérieux, qu’il conserve toujours devant les yeux ce précepte : ni demain ni jamais l’on ne recueille de profits pour les peines que l’on se donne en courant après la faveur du jour qui passe.

Observation. — Chaque nation a ses originalités, qui la séparent, l’éloignent ou la rapprochent des autres nations. — Le plus souvent, les traits caractéristiques extérieurs paraissent aux étrangers très-choquants ou au moins risibles ; ce sont eux qui nous empêchent toujours d’estimer une nation ce qu’elle vaut. Au contraire les qualités intimes et cachées ne sont connues ni des étrangers ni de la nation elle-même ; cette nature intime agit dans les nations comme dans les individus ; c’est elle qui fait apparaître au dehors tels ou tels phénomènes, et comme on ne l’aperçoit pas, on s’étonne, on s’émerveille. — Je ne prétends pas connaître ces attributs mystérieux, je n’oserais pas d’ailleurs les énumérer. Je dirai seulement que, selon moi, ces ressorts intimes sont en ce moment chez les Français dans leur plus grande activité, et que les Français, par ce motif, gagneront bientôt une grande influence sur le monde moral. J’en dirais volontiers davantage, mais il faudrait trop d’espace et trop de détails pour faire comprendre et faire accepter mes idées.


— Si l’on veut bien connaître la poésie allemande, il faut d’abord être instruit de l’état de la littérature entière et de la politique de l’Allemagne. Ce n’est pas encore assez ; il faut encore savoir ce que les étrangers ont dit dans leurs revues critiques d’eux-mêmes, des autres nations et en particulier de la nôtre ; il faut connaître leur manière de nous juger, leurs opinions, l’intérêt qu’ils ont pris à nos œuvres et l’accueil qu’ils leur ont fait.

Pour se mettre au courant de la littérature française contemporaine, on devra lire les leçons prononcées et publiées depuis deux ans par Guizot (Cours d’Histoire moderne) Villemain (Cours de littérature française) et Cousin (Cours d’Histoire de la philosophie). Là se révèlent très-clairement et la situation de la France et les rapports qu’elle a avec nous. Le Globe, la Revue française et le Temps ont une influence peut-être encore plus vive et plus rapide. Tous ces documents sont indispensables pour apprécier