Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/407

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que l’auteur ne les possédait pas toutes ; il loue certaines parties isolées, mais pense que l’ensemble doit être refondu et écrit de nouveau. Après avoir longuement développé cette idée, le critique, comme Balaam, est forcé par un bon génie de terminer son anathème par des paroles de bénédiction ; nous donnons ici ce curieux passage et cela dans le texte, parce que l’expérience nous a montré qu’une traduction, même faite avec le plus grand soin, ne peut jamais rendre la clarté et la précision de l’original.

« Ce livre porte beaucoup à réfléchir ; je n’en connais pas qui offre une peinture plus vraie des mœurs de l’Espagne, qui donne une idée plus complète de l’état de ce pays et des causes qui l’ont tenu peut-être sans espoir de retour loin du mouvement de la civilisation de l’Europe. M. de Salvandy doit beaucoup à ses propres observations, il est facile aussi de voir qu’il a obtenu des renseignements précieux sur quelques parties des grands débats qui ont eu lieu dans la Péninsule ; il en a fait usage avec discernement. S’il montre l’excès des forces de la jeunesse dans la complication de son sujet, dans la pompe de son style, il laisse percer un esprit mûri de bonne heure par les grandes questions qui agitent l’ordre social, et propre par conséquent à les développer et à les juger. »

Un pareil témoignage, qu’un écrivain se voit forcé de rendre à un adversaire, nous parait digne de toute considération et nous l’acceptons très-humblement ; cependant, on a oublié d’indiquer la plus belle de toutes les qualités de l’auteur, celle sur laquelle reposent toutes les autres. Je veux parler de la piété, qui s’aperçoit non dans les actes des personnages, mais dans l’ensemble de l’ouvrage, dans l’âme et dans l’esprit de l’auteur. Piété[1], mot qui, en Allemagne, a conservé jusqu’à présent une chasteté virginale, nos puristes l’ayant heureusement laissé de côté à cause de son origine étrangère. Pietas gravissimum et sanctissimum nomen, dit un noble devancier en reconnaissant en elle fundamentum omnium virtutum. Ce n’est ni le lieu ni le temps de m’étendre à ce sujet : je ne dirai que quelques mots. Si certains faits de la nature humaine, considérés au point de vue moral, nous forcent à reconnaître une espèce de mal radical, un péché originel, en revanche d’autres faits montrent dans certains hommes une vertu originelle,

  1. Pietæt. — C’est une de ces expressions dérivées du français ou du latin comme il en existe tant dans la langue allemande contemporaine.