Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/408

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une bonté, une loyauté et surtout un penchant pour la vénération qui sont innés. Lorsque ce germe se développe, lorsqu’il devient actif et se montre dans les actes de la vie pratique, nous l’appelons comme les anciens piété. Les parents la ressentent avec force pour leurs enfants ; les enfants plus faiblement pour leurs parents ; entre frères et sœurs, entre membres d’une même famille, d’une même race, entre compatriotes, elle étend sa bienfaisante influence ; le cœur la ressent pour les princes, les bienfaiteurs, les maîtres, les protecteurs, les amis, les protégés, les serviteurs de tout rang, les animaux, et même pour la terre, pour le sol, pour un pays, pour une ville ; elle embrasse tout, le monde lui appartient tout entier, et la meilleure, la suprême partie d’elle-même appartient au ciel ; elle seule fait contre-poids à l’égoïsme ; si par miracle, elle existait un moment chez tous les hommes, la terre serait guérie de tous les maux dont elle souffre et dont elle souffrira toujours. Nous en avons déjà trop dit et tout ce que nous pourrions dire resterait insuffisant ; que l’auteur témoigne sur lui-même par ces quelques paroles : « La jeunesse a besoin de respecter quelque chose. Ce sentiment est le principe de toutes les actions vertueuses, il est le foyer d’une émulation sainte qui agrandit l’existence et qui l’élève. Quiconque entre dans la vie sans payer un tribut de vénération la traversera tout entière sans en avoir reçu. » — Si cette grâce sainte de Dieu et de la nature n’avait pénétré l’âme de notre ami[1] comment pourrait-il, si jeune, être arrivé au plus haut résultat que puisse donner la sagesse tirée de la vie, résultat que, dans le cours de l’ouvrage, nous trouvons avec admiration exprimé en termes si clairs ? Puisse cette pensée être comprise de beaucoup d’esprits, et réconcilier avec sa situation plus d’une âme tourmentée : « Je crois que le premier devoir de ce monde est de mesurer la carrière que le hasard nous a fixée, d’y borner nos vœux, de chercher la plus grande, la plus sûre des jouissances, dans le charme des difficultés vaincues et des chagrins domptés ; peut-être la dignité, le succès, le bonheur intime lui-même ne sont-ils qu’à ce prix. Mais pour arriver à cette résignation vertueuse, il faut de la force, une force immense. »

  1. M. de Salvandy avait correspondu avec Goethe.