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LE LIVRE DES CENT ET UN.
Tome I, Paris, Ladvocat, 1831.

Cet ouvrage est très-digne d’attention et par sa naissance et par son contenu. Le libraire Ladvocat, homme excellent et d’une parfaite honnêteté[1], a longtemps rendu de grands services à des hommes de talent qui cherchaient à percer. Plusieurs sont maintenant arrivés à la réputation, mais leur éditeur, à la suite de plusieurs revers, est menacé de la ruine ; la reconnaissance a inspiré à un grand nombre d’entre eux l’idée de venir à son aide en publiant chez lui un ouvrage dont le succès le relèvera. — Le diable boiteux à Paris, tel était le premier titre donné à cet ouvrage, qui doit être une description de Paris, de ses mœurs, de ses originalités, de ses habitudes connues et ignorées. Mais lorsqu’on vit le nombre et l’importance des travaux qui devaient composer le livre, on pensa que c’était se faire tort que de rappeler un ouvrage antérieur qui, malgré son mérite, ne peut égaler en intérêt une peinture du temps actuel. Ces explications nous sont données d’une manière très-simple dans une préface, par l’éditeur, et d’une manière extrêmement spirituelle par un des collaborateurs (Jules Janin) dans le chapitre intitulé Asmodée. — Il nous fait voir la différence qu’il y a entre l’ancien esprit, qui arrachait aux maisons leurs toits, et l’esprit moderne qui aujourd’hui va dérouler devant nous un si riche tableau. Asmodée est ici ce génie incisif d’observation qui reparaît dans tous les siècles, se montrant tantôt bienveillant, tantôt impitoyable, modifiant et changeant son masque suivant les peuples et les individus qu’il veut mettre à nu. Dans le Paris actuel, on ne verrait que peu de chose si on se contentait de soulever les toits et de regarder dans les chambres à coucher les plus hautes. Nos écrivains savent se faire ouvrir aussi bien les salles de fêtes des puissants que les souterrains douloureux des prisons. L’homme obscur qui occupe le logement le plus pauvre a pour eux autant de valeur que le poëte célèbre, qui dans un salon brillamment éclairé, au milieu de la société la plus élégante, reçoit les hommages qui lui sont le plus chers. — Ils nous donnent sur des lieux dont nous avons déjà entendu parler, des détails précis qui nous intéressent. Ils nous font voir des vieillards que jadis nous avons connus dans l’éclat et l’activité de leur jeunesse. Une foule d’opinions et de sentiments, qu’ils nous communiquent, nous

  1. Goethe n’a pas connu personnellement le libraire Ladvocat. Ch.