Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’ensemble des idées issues des langues anciennes et les œuvres inimitables écrites dans ces langues sont, comme on le pense bien, en grand honneur chez les Italiens. Il est naturel que l’on désire toujours conserver exclusivement ce fonds d’inspiration ; il est aussi naturel que cette fidélité excessive dégénère enfin en une espèce d’entêtement et de pédantisme ; c’est une conséquence que l’on attend et que l’on peut pardonner. Dans leur propre langue les Italiens ont une discussion du même genre ; les uns défendent Dante et les écrivains florentins antérieurs cités par la Crusca, les autres acceptent les mots et les locutions nouvelles que la vie et le cours des choses ont fait naître dans les esprits modernes. On ne peut refuser de la raison et de la valeur au parti du passé, mais cependant celui qui ne s’occupe que du passé court risque de presser contre son cœur une momie desséchée. Cet attachement à ce qui n’est plus suscite en tout temps un mouvement révolutionnaire ; les nouveautés qui essayent de percer ne peuvent plus être repoussées et contenues, elles se séparent violemment et elles ne veulent plus ni reconnaître les qualités, ni se servir des avantages que le passé offrait. Lorsque le génie, s’efforçant de ranimer les temps antiques, veut ramener ses contemporains dans des contrées lointaines, et leur donner une image séduisante de siècles disparus, il rencontre dans son œuvre de grandes difficultés ; au contraire il est facile à l’artiste de peindre ses contemporains, de dire ce qu’ils aiment, ce qu’ils désirent, quelles vérités et quelles erreurs les préoccupent, car lui-même est un homme de son siècle, il a été initié depuis sa jeunesse à toutes ces idées ; il vit avec elles ; ses convictions sont celles de son temps. Il lui suffit de laisser un libre jeu à son talent, il est presque certain qu’il entraînera derrière lui une grande partie du public.

L’Allemagne a abandonné la civilisation qu’elle avait reçue d’abord des anciens, puis des Français, pour embrasser les doctrines romantiques ; ce romantisme a son origine première dans un certain nombre d’idées empruntées à la religion chrétienne ; les traditions obscures sur les héros du Nord lui ont été favorables et l’ont accéléré ; cette école avait dès lors une existence solide, elle se répandit, et aujourd’hui il n’y a peut-être pas un poëte, un peintre, un sculpteur qui n’accepte ces sentiments religieux et ne leur consacre son talent. La poésie et l’art prennent également cette voie en Italie. Parmi les romantiques