Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore cette espèce de vers si bien approprié à la tragédie allemande. Le vers finit par des adverbes, sans s’arrêter avec la pensée, le substantif est au commencement du vers suivant, le mot gouverné précède le mot gouvernant, l’attribut précède le sujet ; toutes ces libertés donnent à la marche du récit de la grandeur et de la force, et on évite ainsi de finir les vers comme on finit une épigramme, par une pointe.

J’avais essayé de traduire consciencieusement plusieurs passages, mais on n’aurait pas retrouvé dans ma traduction les qualités de l’original ; je laisse donc le poète parler dans sa langue :

……Serenissimo Doge, senatori ! ……
Io sono al punto[1]

La Quarterly Review, dans son numéro de décembre 1820, publia sur Carmagnola un jugement sévère. Tout en reconnaissant que le chœur était un morceau lyrique fort beau, que certaines scènes étaient touchantes, que çà et là le dialogue respirait une simple et mâle éloquence, l’article se terminait par ces mots : « L’auteur fera mieux de nous donner à l’avenir de belles odes plutôt que d’écrire encore de faibles tragédies. » Goethe prit aussitôt la défense de Manzoni.

Nous revenons avec plaisir à notre ami, et nous espérons que nos lecteurs nous le permettront, car un seul poëme peut inspirer autant de réflexions que dix, et les nôtres auront l’avantage d’être exposées avec plus de suite. L’auteur lui-même s’est ouvert à nous sur l’effet salutaire et utile qu’avait produit sur son esprit notre critique, et c’est pour nous un grand plaisir d’être entré en relations plus intimes avec un homme si digne d’affection. Ses paroles nous montrent qu’il est en progrès ; puissent de si nobles travaux trouver dans sa nation et à l’étranger un accueil amical ! Dans notre premier article, nous l’avions défendu contre un compatriote ; il faut aujourd’hui que nous le défendions contre les étrangers……

Il y a une critique destructive et une critique créatrice. La première est très-facile. On adopte un certain modèle, une certaine mesure, quelque étroite qu’elle soit, puis on dit hardiment : L’œuvre ne s’adapte pas à cette mesure, donc elle ne vaut rien ; cela suffit, on peut sur ce déclarer que l’œuvre est manquée — et dès lors on est délivré de tout sentiment de reconnaissance pour l’artiste. — La critique créatrice est un peu plus difficile ; elle se demande :

  1. Goethe cite le discours de Carmagnola. Acte Ier scène ii.