Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/430

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par elle seule ; il faut, pour qu’elle naisse, la préexistence de certains éléments pathétiques. — Pourquoi les odes de Pindare ont elles un effet si puissant ? N’est-ce pas parce qu’elles ont au fond d’elles-mêmes les traditions splendides de tant de villes, de tant de pays, de tant de familles ? Ces souvenirs sont comme un piédestal qui soutient et relève le héros que chante telle ou telle ode. Que l’on se rappelle l’irrésistible force des chœurs de la tragédie grecque ; ce qui leur donne leur effet toujours croissant, chaque fois qu’ils élèvent la voix, c’est l’intérêt du drame lui-même croissant d’acte en acte. — M. Manzoni nous a montré ailleurs, dans ses Hymnes sacrées, son beau talent de poète lyrique. Or, ces odes reposent sur les traditions de la religion catholique romaine ; de ce fonds si immense il n’a tiré que cinq Hymnes ; nées d’un sol aussi riche, elles ont un grand effet ; de plus, les pieux mystères dont elles parlent sont toujours exposés avec une simplicité parfaite ; il n’y a pas un mot, pas une locution qui ne soit familière à tout Italien depuis son enfance ; cependant ces chants ont une originalité et une nouveauté qui surprennent. Depuis les vers où il fait résonner le doux nom de Marie jusqu’à ceux où il essaye gravement de convertir les Juifs, tout est grâce, force et charme.

Prions donc notre poète de ne pas abandonner le théâtre et de rester fidèle à sa manière ; qu’il mette seulement tous ses soins à choisir un sujet touchant par lui-même, car on voit que l’émotion produite dépend plus du sujet lui-même que de la manière dont il est traité. Nous citerons, pour nous faire comprendre, l’Évacuation de Parga. Je ne propose pas ce sujet ; il serait assez dangereux de le traiter aujourd’hui ; nos petits-fils ne le négligeront pas. Mais si M. Manzoni le choisissait, et le traitait avec sa clarté tranquille, s’il y déployait son éloquence persuasive, s’il se servait de toutes les facultés qu’il possède pour toucher par la poésie élégiaque, pour enthousiasmer par la poésie lyrique, alors assez de larmes couleraient depuis la première jusqu’à la dernière scène, et quoique le critique anglais pût se trouver un peu offended par le rôle douteux que ses compatriotes y joueraient, il n’appellerait certainement pas cette œuvre une « faible tragédie. »

— À propos de la critique de Carmagnola, Manzoni avait écrit à Gœthe :


Milan, 23 janvier 1821.

…Quoique les remercîments littéraires ne soient plus en cré-