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j’avais déjà abandonné cette distinction, et je suis heureux d’avoir été ainsi au-devant de vos vœux…


ADELGHIS,
Tragedia. (Milano, 1822.)

Cette tragédie sera bientôt traduite en allemand ; nous laisserons donc de côté le résumé que nous avions jugé nécessaire en parlant du Comte Carmagnola ; nous renvoyons à l’analyse que M. Fauriel a jointe à sa traduction française ; elle satisfera à tous les points de vue les amis d’une critique judicieuse, qui sait développer les idées renfermées dans une œuvre d’une façon utile à l’auteur. Nous voulons seulement dire ici que cette tragédie confirme la bonne opinion que nous avions conçue de M. Manzoni et qu’elle nous a donné l’occasion de voir ses qualités se déployer sur un champ plus vaste. Alexandre Manzoni a désormais une place honorable parmi les poëtes modernes. C’est sur les plus purs sentiments de l’humanité que repose son beau et vrai talent de poëte. Comme toutes les paroles qu’il met dans la bouche de ses personnages sont d’une vérité parfaite et en harmonie avec ce qu’il pense lui-même, il croit qu’il est absolument nécessaire que les éléments historiques mis en œuvre par le poëte soient d’une incontestable vérité, et prouvés par des documents irrécusables. Il cherche à mettre la partie morale et esthétique de son œuvre qu’il puise en lui-même en accord parfait avec la partie réelle fournie par l’histoire. Il y a, selon nous, parfaitement réussi, car nous lui permettons ce qui lui a été refusé, en l’autorisant à donner à des personnages d’un siècle à demi barbare des sentiments et des idées d’une délicatesse qui n’appartient qu’à la haute civilisation morale et religieuse de notre temps. Pour le justifier, nous émettrons une opinion qui paraîtra peut-être paradoxale ; selon nous, toute poésie est faite d’anachronismes ; il faut toujours attribuer au temps passé que nous évoquons pour le raconter à notre façon à nos contemporains, une civilisation plus haute que celle qu’il possédait ; le poëte doit sur ce point tranquilliser sa conscience, et le lecteur doit consentir à faire semblant de ne pas les voir. L’Iliade, l’Odyssée, toutes