Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/434

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lui, étudierait avec bonheur les généalogies glorieuses et les hauts faits des cités rivales, pourrait évidemment écrire des poésies aussi belles que les siennes.

Dans le Comte Carmagnola, le chœur, en décrivant la bataille, ne se perd pas dans le détail infini ; au milieu de l’immense désordre, il trouve des paroles qui jettent la clarté sur le tumulte sauvage de la lutte ; de même, dans Adeighis, les deux chœurs sont chargés de rendre visibles à l’œil de l’esprit des scènes immenses et passagères ; le commencement de la première ode a un caractère tellement lyrique qu’elle paraît d’abord assez abstruse. Il faut se représenter l’armée lombarde battue et dispersée ; dans les solitudes des montagnes, là où les Latins, vaincus depuis longtemps, labourent la terre et sont soumis à tous les travaux de l’esclave, se répand la nouvelle de cette défaite. Leurs fiers vainqueurs, les familles qui avaient toute la puissance sont en fuite ; ils ne savent s’ils doivent se réjouir, et en effet le poëte leur ôte toute espérance : sous les nouveaux maîtres leur sort ne sera pas plus heureux.

Avant de parler du second chœur, rappelons une remarque que nous avons déjà faite dans les notes du Divan ; le rôle de la poésie lyrique n’a absolument rien de commun avec celui de la poésie épique ou de la poésie dramatique. Celles-ci, en effet, par le récit ou par des tableaux, présentent à l’auditeur ou au spectateur le développement d’un certain fait important ; auditeur ou spectateur n’a rien à faire par lui-même, il n’a qu’à donner une vive attention au poëte. Au contraire, la poésie lyrique expose un moment d’un grand événement, de façon à engager l’âme entière de l’auditeur dans la situation et à l’enlacer si fortement qu’elle se sente comme prise dans un nœud et partage tous les sentiments du poëte. À ce point de vue, on pourrait nommer la poésie lyrique la perfection suprême de l’art de persuader : les qualités qu’elle exige sont si rares que l’on comprend pourquoi elle apparaît si rarement dans l’empire du beau. Nous ne connaissons aucun poëte moderne qui possède ces qualités à un aussi haut degré que Manzoni. Le procédé lyrique est dans sa nature même, et il est né poëte lyrique comme il s’est fait historien et poëte dramatique.

Le chœur qui termine le troisième acte nous a, malgré nous, associés à la chute de l’empire lombard ; nous voyons, au commencement du quatrième acte, une femme devenir la triste victime