Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/46

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L’homme en général est assez attristé par ses propres passions et ses propres vicissitudes, sans avoir besoin de s’attrister encore par les sombres tableaux d’un passé barbare. Il a besoin de clarté, d’idées rassérénantes, et il faut pour cela qu’il se tourne vers ces époques artistiques et littéraires pendant lesquelles les hommes supérieurs étant arrivés à un développement parfait, se sentaient bien avec eux-mêmes, et pouvaient verser dans les âmes la félicité que leur donnait leur science. — Mais voulez-vous avoir une bonne opinion de Fouqué ? Lisez Ondine, c’est vraiment délicieux. C’était, il est vrai, un excellent sujet, et on ne peut pas dire même que le poëte en ait tiré tout ce qu’il renfermait, mais cependant Ondine est un bon ouvrage et vous plaira. »

« Je n’ai pas de bonheur avec la littérature allemande contemporaine, dis-je. Quand j’ai lu les poésies de Egon Ebert[1], je sortais de Voltaire, dont j’ai commencé à faire la connaissance en lisant ses petites poésies adressées à diverses personnes ; elles sont certainement au nombre des meilleures qu’il ait écrites. — Aujourd’hui, avec Fouqué, la même chose m’arrive. J’étais enfoncé dans la Jolie fille de Perth, de Walter Scott, la première œuvre également que j’aie lue de ce grand écrivain, et je me trouve amené à la mettre de côté pour me donner à la Guerre des Chanteurs de la Wartburg ! »

« Contre d’aussi grands étrangers, dit Goethe, nos contemporains allemands ne peuvent pas lutter. Vous faites bien cependant d’apprendre à connaître peu à peu tous les écrivains nationaux et étrangers, vous verrez ainsi où il faut aller puiser cette haute éducation générale, nécessaire au poëte. »

  1. Poëte autrichien, né en 1801.