Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/461

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restait alors toujours plus grande qu’aujourd’hui. Que l’imagination se place donc au confluent de la Save et du Danube, là où nous trouvons aujourd’hui Belgrade ; la rive droite de la Save et du Danube forme la frontière du Nord ; au sud, la frontière est formée par l’Adriatique, à l’est, par le Monténégro. Parmi les peuples voisins, on remarque les Vénitiens, les Hongrois et plusieurs autres nations diverses et changeantes ; dans les premiers temps, les Serbes entretiennent des relations surtout avec l’empire grec ; tantôt ils payent des tributs ; tantôt ils en reçoivent ; tantôt ils sont ennemis, tantôt alliés ; plus tard l’empire turc remplace l’empire grec. Cette nation fixée ainsi dans la région du Danube, retenue là par l’amour du pays, vivait dans un état perpétuel de guerre, malgré les châteaux et les villes qui avaient été bâties sur les hauteurs pour assurer ses possessions ; sa constitution était une espèce de confédération de princes, réunie sous l’autorité très-vague d’un chef suprême, que l’on suivait par obéissance ou par simple déférence. L’héritage de tous ces despotes grands et petits se partageait suivant les prescriptions de livres anciens, très-respectés, déposés dans les mains des prêtres ou gardés précieusement dans les trésors de quelques princes.

Il est évident que ces poésies, malgré le rôle que l’imagination peut y jouer, ont un fond historique et réel ; mais en quel temps placer les faits racontés ? Question impossible à résoudre quand il s’agit de poésies transmises oralement. On peut fixer du moins à peu près l’époque où les poésies ont été écrites. Quelques-unes, en petit nombre, sont antérieures à l’arrivée des Turcs en Europe ; plusieurs désignent Andrinople comme la capitale du sultan ; d’autres appartiennent au temps où la puissance turque s’appesantissait toujours davantage sur les peuples voisins, enfin dans les dernières on voit la paix régner entre Turcs et chrétiens ; ils jouent ensemble un rôle dans des aventures d’amour, et sont liés par des relations commerciales.

Dans les poésies les plus anciennes se trahissent des idées barbares et superstitieuses ; on voit des sacrifices humains de l’espèce la plus horrible. Une jeune femme est ensevelie vivante, pour que la forteresse de Scutari puisse se bâtir ; ce fait parait d’autant plus sauvage que dans tout l’Orient nous ne voyons jamais mettre dans les édifices, pour assurer leur durée et leur résistance à tous les ennemis, que des images consacrées, talismans que l’on dépose dans des endroits secrets.