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les considérer comme des parodies ou des travestissements, erreur à laquelle les vers d’Horace pourraient nous entraîner. Non ! Chez les Grecs tout est d’un seul jet, et tout est d’un grand style. C’est le même marbre, c’est le même bronze qui sert à l’artiste pour le Faune comme pour le Jupiter, et toujours le même esprit répand partout sa dignité.

Il ne faut nullement chercher ici l’esprit de parodie, qui se plaît à avilir et à rendre vulgaire tout ce qui est élevé, grand, noble, bon, délicat ; ce goût nous a toujours paru un symptôme de décadence et de dégradation pour un peuple ; au contraire, chez les Grecs, la puissance de l’art relevait la grossièreté, la bassesse, la brutalité, et ces éléments, en opposition radicale avec le divin, pouvaient alors devenir pour nous un sujet d’étude et de contemplation aussi intéressant que la noble tragédie.

Les masques comiques des anciens qui nous sont parvenus ont une valeur artistique égale à celle des masques tragiques. Je possède moi-même un petit masque comique, en bronze, que je n’échangerais pas contre un lingot en or, car, chaque jour, sa vue me rappelle la hauteur de pensée qui brille dans toutes les œuvres que nous ont laissées les Grecs.

Ce qui est vrai de la poésie dramatique est vrai également des beaux-arts ; en voici des preuves :

Un aigle puissant (du temps de Myron ou de Lysippe) vient de s’abattre sur un rocher, tenant dans ses serres deux serpents ; ses ailes sont encore en mouvement, il semble inquiet, car sa proie s’agite, se défend contre lui et le menace ; les serpents s’enroulent autour de ses pattes, mais leurs langues pendantes indiquent leur fin prochaine. — Une chouette s’est posée sur un mur ; ses ailes sont rapprochées, elle serre ses griffes, dans lesquelles elle tient plusieurs souris à moitié mortes, celles-ci enroulent leur queue autour des pattes de l’oiseau, et avec leurs derniers sifflements s’en va leur dernier souffle.

Que l’on mette maintenant ces deux œuvres d’art l’une en face de l’autre ! Il n’y a là ni parodie ni travestissement ; il y a deux objets naturels pris, l’un en haut, l’autre en bas, mais tous deux traités par un maître dans un style également élevé ; c’est un parallélisme par contraste ; chaque œuvre isolée plaît, et, réunies, leur effet est frappant. Je propose ce sujet comme excellent aux jeunes sculpteurs.

La comparaison de l’Iliade avec Troïde et Cressida conduit aux