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est descendu. Par ses discours, il cherche à éveiller dans tous les cœurs l’idée de l’Être unique et éternel, du bien, du vrai, du beau. Sa méthode, sa parole semblent fondre, réduire en vapeur les faits scientifiques qu’il a pu emprunter à la terre.

Aristote, au contraire, agit avec le monde simplement comme un homme. Il semble être un architecte chargé de diriger une construction. C’est ici qu’il est, c’est donc ici qu’il doit travailler et bâtir. Il s’assure de la nature du sol, mais uniquement jusqu’à la profondeur des fondations. Quant à ce qui s’étend au delà, jusqu’au centre de la terre, il ne s’en occupe en rien. Il donne à son édifice une base immense ; il va chercher partout des matériaux, il les classe, et bâtit peu à peu. C’est ainsi qu’il s’élève, semblable à une pyramide régulière, tandis que Platon est monté rapidement vers le ciel comme l’obélisque, comme la pointe aiguë de la flamme.

Ces deux hommes, qui représentent des qualités également précieuses et rarement réunies, se sont pour ainsi dire partagé l’humanité.


ENCORE HOMÈRE.

Il existe entre les hommes un très-grand nombre de dissentiments qui reparaissent sans cesse et reparaîtront toujours, parce qu’ils ont leur origine dans des manières de voir et de juger différentes qu’il est impossible de concilier. Lorsqu’une certaine manière de voir est en haute faveur, qu’elle a pour elle la foule et qu’elle triomphe si complètement que la manière de voir opposée doit s’effacer et se taire, alors on nomme cette opinion victorieuse l’esprit du temps. Il conserve sa domination pendant un certain nombre d’années. Dans les siècles passés, c’est pendant un espace de temps fort long que durait sa puissance ; il savait s’imposer à des peuples tout entiers, et exercer fortement son influence sur les mœurs, auxquelles il donnait une forme particulière. De nos jours il devient plus mobile ; peu à peu deux esprits opposés pourront exister côte à côte en même temps et se faire mutuellement équilibre. C’est là, selon nous, un progrès très-désirable.

Voici un exemple. Nous nous étions à peine élevés à une haute habileté dans l’art d’analyser et de dissoudre les écrits de l’anti-