Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/482

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doivent faire oublier et compenser les douleurs infinies de la séparation ! L’incomparable Jones connaissait assez bien ses compatriotes, les insulaires de l’Occident, pour rester ici comme toujours dans les limites des convenances européennes, et cependant il a osé donner quelques indications que le traducteur allemand n’a pas osé donner à son pays et qu’il a cru même nécessaire de rayer complètement.

Mentionnons aussi le Megha-Duta, qui nous est connu depuis peu. Là aussi les scènes sont prises simplement dans la vie et dans le cœur humain. Au moment où l’immense armée des nuages toujours changeants va quitter le sud de l’Inde pour se rassembler vers le nord et préparer la saison des pluies, un exilé charge un de ces géants de l’air de saluer à son arrivée sa femme restée dans le nord, et de la consoler de son absence ; il le prie aussi de bénir sur son passage les villes, les pays où se trouvent ses amis ; et ses paroles, en montrant la distance qui le sépare de sa bien-aimée, tracent une riche peinture des paysages de cette contrée.

Les traductions de ces poëmes s’éloignent toutes plus ou moins de l’original, dont nous ne pouvons avoir qu’une idée générale ; la connaissance des originalités de détail nous est refusée, car la copie diffère beaucoup du modèle ; je m’en suis convaincu par la traduction littérale de plusieurs vers que M. le professeur Kosegarten a bien voulu faire pour moi sur le texte sanscrit.

Nous ne pouvons quitter l’Orient sans mentionner le drame chinois[1] qui nous a été donné récemment. Il peint de la façon la plus touchante les chagrins d’un vieillard qui doit mourir sans héritiers mâles ; il pressent que les belles cérémonies en usage dans le pays pour honorer la mort seront, pour lui, sinon supprimées, du moins laissées au bon plaisir de parents négligents. Ce tableau de famille a un grand intérêt même pour nous. Il rappelle les Célibataires d’Iffland ; mais l’écrivain allemand a trouvé les ressorts de sa pièce dans les caractères, dans les vices domestiques et sociaux ; la pièce chinoise montre de plus l’importance dans ce pays des cérémonies religieuses et administratives ; leur privation donne à notre brave vieillard une douleur qui va jusqu’au désespoir, jusqu’à ce qu’enfin un incident habilement préparé, mais cependant inattendu, amène un heureux dénoûment.

  1. Lao-Seng-Die, traduit en anglais par Davis, 1817.