Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/514

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion



cet instinct prenne une application intelligente et devienne un instinct architectonique.

Arrêtons-nous sur cette voie qui nous entraînerait dans des détails sans fin, et abrégeons.

Plus un animal porte sur ses membres antérieurs, plus son radius prend de force, avons-nous dit, plus il emprunte au cubitus ; à la fin, celui-ci disparaît presque, et il ne reste que l’oléocrâne (pointe du coude) pour former l’articulation indispensable avec le haut du bras. L’étude des planches de D’Alton donnera sur ce point les enseignements les plus précis ; partout on voit la fonction spéciale en harmonie vivante avec chacune des formes.

Pénétrons maintenant par une nouvelle porte dans les mystères de la nature en étudiant les cas où l’organe entier ne laisse de lui-même qu’une indication et même où la fonction cesse complètement. Que l’on examine dans l’ouvrage de D’Alton les échassiers, et l’on verra, depuis l’autruche jusqu’au casoar de la Nouvelle-Hollande, l’avant-bras se raccourcir et se simplifier par degrés. Quoique cet organe, qui fait de l’homme un homme et de l’oiseau un oiseau, paraisse à la fin abrégé d’une façon si étrange qu’il pourrait passer pour une déformation accidentelle, cependant on peut encore très-bien reconnaître chaque partie ; l’analogie des formes est incontestable ; malgré l’allongement, les points d’attache restent les mêmes ; malgré la diminution, les rapports de position ne changent pas.

Dans les recherches de haute ostéologie animale, jamais on ne doit perdre de vue ce principe important ; Geoffroy l’a parfaitement aperçu et nettement formulé : un os qui paraît se cacher doit se trouver auprès de son voisin habituel. Il est également pénétré d’une autre grande vérité qui se rattache immédiatement à la première : La nature, en bonne administratrice, s’est fixé une certaine somme à dépenser, un certain budget ; elle se réserve un droit absolu de virement d’un chapitre à un autre, mais elle ne dépasse jamais dans les dépenses le total fixé ; si elle a trop dépensé d’un côté, elle fait ailleurs une économie égale, et toujours elle arrive à une balance en équilibre parfait. — M. Geoffroy reconnaît que ces deux principes, qui ont rendu tant de services à nos savants allemands, lui ont également été on ne peut plus utiles pendant sa carrière scientifique, et grâce à eux est mis de côté le triste secours que l’on trouvait dans la théorie des causes finales.