Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/54

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qu’il me fît quelques récits de son voyage. — « Rome ! dit-il, Rome ! voilà où il faut que vous alliez pour devenir quelque chose ! Voilà une ville ! Voilà une vie ! Voilà un monde ! Nous ne pouvons ici, en Allemagne, nous détacher de tout ce qu’il y a de petit dans notre nature. Mais dès que l’on entre à Rome, on est transformé, et nous nous sentons grands comme ce qui nous entoure. » — « Pourquoi n’êtes-vous pas resté plus longtemps ? » — « Mon congé et mon argent étaient à leur fin !… J’ai ressenti une émotion étrange quand, tournant le dos à l’Italie, j’ai de nouveau franchi les Alpes. »

Goethe arriva, salua la compagnie, causa avec Tieck et sa famille, et offrit bientôt le bras à la comtesse pour la conduire à table. La conversation fut vive, sans façon, mais je ne m’en rappelle pas le sujet. Après dîner, on annonça les princes d’Oldenbourg. Nous montâmes tous dans l’appartement de Madame de Goethe ; Mademoiselle Agnès Tieck se mit au piano, et chanta la jolie romance : « Je me glisse dans la campagne ; » sa belle voix de soprano a une vérité d’expression qui ne peut s’oublier.

Jeudi, 9 octobre 1828.

Aujourd’hui j’ai dîné seul avec Goethe et Madame de Goethe. — Nous reprîmes les sujets de conversation des jours précédents. — Je rappelai à Goethe son heureuse improvisation sur le Moïse de Rossini. — « Je ne sais plus, me dit-il, ce que dans un moment de plaisanterie et de bonne humeur, j’ai pu dire sur le Moïse, ces choses-là s’oublient vite. Mais ce qui est certain, c’est que je ne peux jouir vraiment d’un opéra que lorsque le poème est aussi parfait que la musique, et que tous deux marchent