Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/72

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soutenir très-habilement la conversation sur tout sujet ; mais ils n’ont rien pénétré, ils n’ont qu’effleuré la surface de tout. Et ce n’est pas étonnant, quand on pense à toutes ces occasions insupportables de dissipations et de distractions que la vie de cour entraîne avec elle, et auxquelles un jeune prince ne peut échapper. — Il aura une idée abrégée de tout. Il connaîtra un peu de ceci, un peu de cela, et puis aussi un peu de ceci, et puis encore un peu de cela ; mais avec cette méthode, rien ne peut se fixer et s’enraciner, et avec de pareilles prétentions il faut qu’une nature ait un fonds solide pour ne pas s’en aller tout entière en fumée. Le grand-duc était né grand homme ; voilà qui suffit, cela dit tout.

« — Avec tous ses penchants élevés pour la science et les travaux de l’esprit, il paraît cependant avoir aussi très-bien entendu le gouvernement. »

« — C’était un homme au-dessus du commun ; tout chez lui venait d’une source unique qui coulait à flots ; l’ensemble était bon, et chaque partie était bonne ; aussi il pouvait faire tout ce qu’il voulait. Il avait surtout trois qualités du chef de gouvernement. Il avait le don de distinguer les esprits et les caractères, et de mettre chacun à sa place. C’était beaucoup. Il avait ensuite une autre qualité égale, sinon supérieure ; il était animé de la plus noble bienveillance, de l’amour le plus pur des hommes, ne voulait que le bien, et cela de toute son âme. Toujours il pensait d’abord au bonheur du pays ; à lui-même il ne pensait que peu, et bien après. Pour aller au-devant des nobles créatures, pour protéger toutes les bonnes entreprises, sa main était toujours prête, toujours ouverte. Il y avait beaucoup de la divinité en lui ; il aurait pu rendre toute l’humanité heureuse, car