Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/83

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une nouveauté. Platon, Léonard de Vinci et d’autres excellents esprits ont en partie trouvé et dit tout ce que j’ai moi-même trouvé et dit, mais l’avoir retrouvé, redit, propagé, défendu, avoir de nouveau, à travers la confusion de ce monde, frayé une route au vrai, voilà mon mérite. — Le vrai a toujours besoin d’être répété, parce que l’erreur nous est sans cesse reprêchée, et non par quelques voix isolées, mais par la foule. Dans les journaux, dans les encyclopédies, dans les écoles, dans les Universités, partout l’erreur tient le haut du pavé ; elle est à son aise chez la majorité, qui se charge de sa défense. Souvent aussi on expose tour à tour la vérité et l’erreur, puis on s’arrête à cette dernière. Ainsi il y a quelques jours, je lisais dans une encyclopédie anglaise l’exposé de la formation du bleu. On donnait d’abord la théorie de Léonard de Vinci, qui est la vraie ; puis tout aussitôt après on donnait bien tranquillement la théorie de Newton, qui est fausse, mais on faisait remarquer qu’il fallait accepter cette dernière, parce qu’elle est universellement reçue ! »

Je me mis à rire, tout en montrant ma surprise. — « Un cierge, dis-je, un peu de fumée dans une cuisine, si elle a derrière elle une paroi sombre, un nuage qui le matin glisse sur un fond obscur, suffisent pour me montrer comment se forme le bleu, et m’apprennent à comprendre pourquoi le ciel est bleu. Mais je ne comprends pas du tout ce que les élèves de Newton veulent dire quand ils affirment que l’air a la propriété d’absorber les autres couleurs et de ne réfléchir que le bleu ; je ne vois pas quelle utilité et quelle satisfaction on peut trouver dans une théorie qui arrête toute idée et nuit à une vue saine des choses. »