Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/84

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« — Bonne âme ! dit Goethe, il s’agit bien avec ces gens-là de penser et de bien voir ! Ils sont contents s’ils ont des mots à échanger entre eux ; mon Méphistophélès autrefois savait cela, et il l’a dit assez bien :

Avant tout, tenez-vous ferme au mot !
Et par cette porte sûre
Entrez au temple de la Certitude,
Car où manquent les idées,
Le mot arrive très-à-propos… »

Goethe récita ce passage en riant ; il paraissait de la meilleure humeur — « Il est très-heureux que tout cela soit imprimé ; je continuerai, et j’imprimerai tout ce que j’ai encore sur le cœur contre les fausses théories et contre ceux qui les répandent. »

« D’excellentes personnes, continua-t-il après une pause, abordent maintenant les sciences naturelles, et je les vois arriver avec plaisir. Certains savent bien commencer, mais ils ne continuent pas comme ils ont commencé, parce qu’ils sont trop occupés de leurs propres idées, qui les mènent à l’erreur. D’autres, au contraire, n’ont d’attention que pour les faits, ils en rassemblent des quantités, mais n’arrivent à rien cependant, parce qu’il leur manque l’esprit théorique qui pénètre jusqu’au phénomène primitif et se rend maître des faits isolés. »

Une courte visite suspendit la conversation, mais, restés bientôt de nouveau seuls, nous reprîmes notre entretien, qui se tourna vers la poésie. Je racontai à Goethe que ces jours derniers j’avais examiné de nouveau ses petites poésies, et que deux surtout avaient retenu mon attention, la Ballade des Enfants et du Vieillard[1] et les Heureux Époux.

  1. Poésies, traduites par M. Blaze de Bury, p. 46 et 52.