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Page:Edgar Poe Arthur Gordon Pym.djvu/131

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chairs de la bouche rongées laissaient les dents entièrement à nu. Tel était donc ce sourire qui avait encouragé notre espérance ! Tel était… mais je m’arrête. Le brick, comme je l’ai dit, passa à notre arrière, et continua sa route lentement et régulièrement sous le vent. Avec lui et son terrible équipage s’évanouirent toutes nos heureuses visions de joie et de délivrance. Comme il mit quelque temps à passer derrière nous, nous aurions peut-être trouvé le moyen de l’aborder, si notre soudain désappointement et la nature effrayante de notre découverte n’avaient pas anéanti toutes nos facultés morales et physiques. Nous avions vu et senti, mais nous ne pûmes penser et agir, hélas ! que trop tard. On pourra juger par ce simple fait combien cet incident avait affaibli nos intelligences : — quand le navire se fut éloigné au point que nous n’apercevions plus que la moitié de sa coque, nous agitâmes sérieusement la proposition d’essayer de l’attraper à la nage !

J’ai, depuis cette époque, fait tous mes efforts pour éclaircir la vague horrible qui enveloppait la destinée du navire inconnu. Sa coupe et sa physionomie générale nous donnèrent à penser, comme je l’ai déjà dit, que c’était un bâtiment de commerce hollandais, et le costume de son équipage nous confirma dans cette opinion. Nous aurions facilement pu lire son nom à son arrière, et prendre aussi d’autres observations qui nous auraient servi à déterminer son caractère ; mais l’émotion profonde du moment nous aveugla et nous cacha tout indice de cette nature. D’après la couleur safranée de quelques-uns des cadavres qui n’étaient pas tout à fait