Page:Edgar Poe Arthur Gordon Pym.djvu/165

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mes pieds et de mes mains, tout en nageant vers la coque, et faisant ainsi une masse d’écume. Je ne doute pas que ce ne soit à cet expédient, si simple qu’il fût, que je dus mon salut ; car, avant que le brick ne tournât, la mer tout autour fourmillait tellement de ces monstres, que j’ai dû être et que j’ai été positivement en contact immédiat avec eux durant mon trajet. Par grand hasard et très-heureusement, j’atteignis toutefois le bord du navire sain et sauf ; mais j’étais si complètement épuisé par les violents efforts qu’il m’avait fallu déployer, que je n’aurais jamais pu y remonter sans l’assistance opportune de Peters, qui, ayant grimpé sur la quille par l’autre côté de la coque, reparut alors à ma grande joie, et me jeta un bout de corde, — d’une de celles que nous avions attachées aux clous.

À peine avions-nous échappé à ce danger que notre attention fut attirée par une autre imminence non moins terrible : mourir absolument de faim. Toutes nos provisions avaient disparu, avaient été balayées en dépit de tout le soin que nous avions mis à les placer en lieu de sûreté ; et, ne voyant plus aucune possibilité de nous en procurer d’autres, nous nous abandonnâmes tous les deux au désespoir, et nous nous mîmes à sangloter comme des enfants, aucun des deux n’essayant même de donner du courage à l’autre. À peine pourra-t-on comprendre une pareille faiblesse, et ceux qui ne se sont jamais trouvés à pareille fête la jugeront sans doute hors nature ; mais on doit se rappeler que notre intelligence était si complètement désorganisée par cette longue série de privations et de terreurs, que nous ne pouvions pas