Page:Edgar Poe Arthur Gordon Pym.djvu/214

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n’existait que dans l’apparence. À première vue, et particulièrement dans les cas où la déclivité était peu sensible, elle ressemblait un peu, quant à la consistance, à une épaisse dissolution de gomme arabique dans l’eau commune. Mais cela n’était que la moins remarquable de ses extraordinaires qualités. Elle n’était pas incolore ; elle n’était pas non plus d’une couleur uniforme quelconque, et tout en coulant elle offrait à l’œil toutes les variétés possibles de la pourpre, comme des chatoiements et des reflets de soie changeante. Pour dire la vérité, cette variation dans la nuance s’effectuait d’une manière qui produisit dans nos esprits un étonnement aussi profond que les miroirs avaient fait sur l’esprit de Too-wit. En puisant de cette eau plein un bassin quelconque, et en la laissant se rasseoir et prendre son niveau, nous remarquions que toute la masse de liquide était faite d’un certain nombre de veines distinctes, chacune d’une couleur particulière ; que ces veines ne se mêlaient pas ; et que leur cohésion était parfaite relativement aux molécules dont elles étaient formées, et imparfaite relativement aux veines voisines. En faisant passer la pointe d’un couteau à travers les tranches, l’eau se refermait subitement derrière la pointe, et quand on la retirait, toutes les traces du passage de la lame étaient immédiatement oblitérées. Mais, si la lame intersectait soigneusement deux veines, une séparation parfaite s’opérait, que la puissance de cohésion ne rectifiait pas immédiatement. Les phénomènes de cette eau formèrent le premier anneau défini de cette vaste chaîne de miracles apparents dont je devais être à la longue entouré.