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— Est-ce qu’on ne fait pas tous les jours des rosseries à ses amis, surtout pour faire plaisir à une femme !

— Éléonore a raison, appuya Irène. Edgard l’a plaquée salement. Il faut qu’elle se venge.

Julien protesta encore un peu, mais plus mollement, surtout qu’Irène se joignait à son amie.

Que vouliez-vous qu’un homme fît contre deux femmes en pareil cas ? Il céda finalement et accepta de rendre à Éléonore le service qu’elle lui demandait.

C’est ainsi que le surlendemain, dans ses échos, le Figaro publiait la note suivante.

« Il n’est bruit, dans les milieux politiques, que de la mésaventure survenue à un jeune attaché au cabinet du ministre de l’Intérieur. À la suite d’un scandale provoqué par ce jeune fonctionnaire, le gouvernement a dû l’éloigner de Paris. Qu’on ne s’apitoie d’ailleurs pas trop sur son sort ! Le régime a, pour ses serviteurs, de douces disgrâces. Et notre jeune attaché est provisoirement au vert dans une sous-préfecture d’un département du Centre.

« Les habitants de cette charmante cité, qui mire les tourelles de son castel dans les eaux pures de son lac, seront peut-être peu flattés d’avoir été choisis pour être administrés par un habitué trop bruyant des dancings et des établissements de nuit. Et, sans doute, préféreraient-ils rendre leur nouveau sous-préfet à sa belle amie qui, pour être une des plus joyeuses jolies filles de Paris, n’en est pas moins aussi inconsolable du départ de son jeune attaché que la nymphe Calypso le fut du départ d’Ulysse. »

Ce texte, rédigé par le complaisant Julien, avait été soumis, avant d’être publié, à Éléonore, qui l’avait approuvé, ajoutant en manière de commentaire :

— Si, après cela, les gens de Château-du-Lac ne le forcent pas à revenir, ce serait à désespérer de la vertu traditionnelle de la province. Mais je parie bien qu’avant huit jours, vous le verrez rappliquer. Pour sa punition, il ne me trouvera pas là. Je vais me payer un petit voyage de trois semaines en attendant le retour de l’amant prodigue.

Effectivement, le lendemain, les persiennes de l’appartement d’Éléonore étaient closes. Une fois de plus, elle avait disparu sans laisser d’adresse sinon, comme de coutume, à sa camériste fidèle, laquelle seule savait où expédier à sa maîtresse un télégramme l’avisant du retour de l’infidèle Edgard Dumoulin.