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iii

la vertueuse comtesse de la Roche Pelée


La ville de Château-du-Lac s’étendait moelleusement au flanc d’un coteau. Sans y être jamais allé, le journaliste l’avait admirablement dépeinte en disant « qu’elle mirait les tourelles de son castel dans les eaux claires de son lac ».

Or, le castel était précisément devenu la sous-préfecture et c’est là que le lendemain de son départ, Edgard Dumoulin venait s’installer officiellement. Il ne goûta ni le charme paisible du chef-lieu de l’arrondissement qu’il allait avoir à administrer, ni la beauté historique du monument où il allait habiter.

L’aspect de sa nouvelle résidence confirma l’ami d’Éléonore dans sa première impression et, à part lui, il pensa :

— Zut ! Ce que je vais me barber ici !

Aussi, après avoir reçu les fonctionnaires et les autorités municipales, s’enferma-t-il dans ses appartements pour maudire à son aise les époux Couillard et leur neveu le ministre, à qui il devait ce lointain exil de la capitale.

Cependant les Castrolaguniens — ainsi se dénommaient les habitants de Château-du-Lac — se tenaient sur une grande réserve à l’égard du nouveau sous-préfet.

Le député de l’arrondissement, d’opinion conservatrice, était le descendant des anciens comtes de La Roche Pelée, qui avaient été jadis les seigneurs du pays et dont le château était devenu la sous-préfecture, chose que, de père en fils, les de La Roche Pelée n’avaient jamais pardonné aux régimes divers qui s’étaient succédé depuis la Révolution.

L’opinion républicaine n’était guère représentée dans la ville paisible que par un médecin qui rêvait de remplacer un jour le comte, à la fois au Palais Bourbon et à la mairie de Château-du-Lac. Mais les temps n’étaient pas encore révolus, et le docteur Rabaud se bornait pour le moment à l’opposition que faisait au vieux comte le Républicain castrolagunien, journal hebdomadaire subventionné par l’ambitieux disciple d’Hippocrate.

La haute société de Château-du-Lac réservait son opinion sur leur nouveau sous-préfet jusqu’à ce que se fût prononcée la comtesse de La Roche Pelée.

Disons tout de suite que celle-ci était loin d’être une vieille douairière. Le comte, en effet, avait épousé une cousine éloignée, Isabelle de Puyprofonds, jeune orpheline noble mais ruinée, qui n’avait pas craint, dix ans plus tôt, d’unir