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— L’autre soir (pendant que j’accomplissais pieusement ma retraite) j’étais dans la chapelle du couvent, prosternée au pied de la statue de la Vierge. Soudain, celle-ci disparut et à sa place, j’aperçus une femme, une de ces odieuses créatures de plaisir… elle était complètement nue et dansait en me narguant…

« Je poussai un cri : l’horrible vision s’évanouit et, de nouveau, la Vierge reparut à mes yeux. Elle me parla : « Ma fille, me dit-elle, prends garde. Quand tu retourneras chez toi, tu trouveras sur ta route cette créature possédée du démon ! Dieu t’avertit parce que tu es désignée pour la combattre et sauver de la tentation tes frères et sœurs menacés. Sois forte, le seigneur est avec toi. Et tu triompheras de l’esprit du mal, malgré tous les obstacles que tu rencontreras. »

« Oh ! Je vois à présent ! Je vois ! Cette créature qui m’est apparue ainsi, c’est l’amie du sous-préfet, cette Calypso dont parle le journal, et le sous-préfet lui-même est possédé par l’esprit du mal. Il doit donc être chassé.

« Si personne n’ose le combattre, moi je le ferai… et Dieu me rendra forte !

Puis, laissant son vieux mari abasourdi, elle rentra dans ses appartements.

— Grand Dieu ! murmura le comte en levant les bras au ciel. Voici ma femme atteinte de folie mystique !

La comtesse réapparaissait bientôt. Elle avait repris son manteau sévère, son chapeau lui cachant les cheveux et la voilette épaisse derrière laquelle disparaissait son visage.

— Où allez-vous, chère amie ? demanda son mari.

— Je vais au combat !… Je tiens seulement à vous avertir que je refuse de me rencontrer jamais avec votre sous-préfet immoral. Si vous aviez des velléités de le recevoir, je quitterais cette maison.

« Et je me rends de ce pas chez les dames de la ville pour les avertir et les liguer avec moi.

Après quoi Mme de La Roche-Pelée s’en fut.

Sa première visite fut pour la rédaction du journal conservateur le Nouvelliste de Château-du-Lac. Elle eut un long entretien avec le directeur, entretien qui dut la satisfaire, car elle sortit radieuse.

Elle commença alors la tournée chez les dames de la ville. Partout, elle fut reçue comme elle s’y attendait, et toutes partagèrent son indignation.

À la fin de la journée, la comtesse fit le bilan : elle avait réussi à embrigader avec elle pour la lutte active plusieurs personnes, indignées comme elle qu’on envoyât