Page:Edmond Haraucourt Cinq mille ans 1904.djvu/23

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Messieurs, avant de passer outre, examinons ce qu’avait été cette religion si influente sur la mentalité de trente ou quarante générations occidentales. Rassurez-vous : je ne m’attarderai pas dans la vaine tentative de chercher avec vous une définition de la divinité. La tâche est trop ardue, trop pleine de périls et d’arbitraire, pour les hommes d’une race qui, comme la nôtre, par atavisme ou par conformation crânienne, est privée de la notion du surnaturel. Les êtres qui ont pu concevoir l’idée de Dieu, et des miracles qui s’opposent au fonctionnement normal des lois universelles et d’une âme indépendante du corps, sont des êtres trop différents de nous pour que nous puissions espérer de restituer avec bon sens, avec justice, leur état d’esprit ou les bénéfices qu’ils en retiraient. Les meilleurs esprits se sont égarés dans cette voie sans issue ; même quelques-uns — dont il ne nous est cependant pas permis de suspecter la bonne foi, et que pas davantage nous n’oserions accuser de plaisanterie — sont arrivés à des propositions absurdes ; vous connaissez la dernière, qui fit tant de bruit : « Le dieu des chrétiens, disait-on, est un être à figure humaine, créateur de la terre et du ciel, mais habitant du ciel, et pour qui cependant les mondes innombrables n’existaient que comme une décoration offerte aux yeux de l’homme : concentrant son attention sur notre planète, ce maître s’occupait exclusivement des affaires humaines ; chacun lui exprimait ses désirs personnels et incompatibles au moyen d’une supplique nommée prière, et il récompensait les uns par une félicité qui dure encore, ou punissait les autres d’un châtiment qui durera toujours, car l’âme est immortelle. » Le seul énoncé de ces hypothèses, disons de ces fantaisies ou de ces folies, — injure gratuite à des êtres intelligents, mais qui ne peuvent plus se défendre, — provoqua dans le monde savant une réprobation que vous n’ignorez pas, et l’on fut unanime à déplorer la déchéance d’un vieillard qui déshonore sa carrière par des enfantillages indignes de lui et de son passé glorieux. Ne le suivons pas dans de tels errements. Par bonheur pour l’esprit humain, la mythologie des chrétiens fut tout autre, et nous la connaissons maintenant avec certitude, tout au moins dans ses grandes lignes.