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Page:Edmond Haraucourt Le gorilloide 1904.djvu/16

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Messieurs, cette puissance effraie. Nos savants n’y ont pas encore atteint, heureusement pour nous et pour nos fils, puisqu’elle précède la fin de tout. Mais elle était logique, comme le dénouement le fut.

Car, d’un tel être, après une telle ascension, que pouvait-il advenir ?

On peut supposer que la déchéance de l’homme fut longtemps retardée par les imbéciles, qui, sans nul doute, existaient dans l’humanité, et longtemps l’empêchèrent de périr : les imbéciles, messieurs, sont de la plus incontestable utilité dans une race, car ils y maintiennent un niveau de médiocrité qui s’oppose à l’excès du développement spirituel, et qui en retarde les fatales conséquences. Peut-être auraient-ils sauvé le monde ? Les dieux ne l’ont pas permis : un événement terrible entrava leur œuvre bienfaisante. Lequel ?

Tandis que l’animal vit et se modifie, la Terre, macrobe énorme, vit pour son propre compte, sans rien connaître des espèces qui pullulent à sa surface : elle aussi a ses transformations lentes et brusques, car les mondes, comme nous et plus que nous, sont sujets à la loi du perpétuel devenir.

Supposez donc qu’à la fin de la Période Quintaire, où l’Homme régnait, un cataclysme ait changé la face de notre planète. Supposez que les peuples, — car nous devons croire à l’existence de peuples humains, de nations humaines, de patries humaines — violemment dépossédés de leurs empires, décimés et chassés, éparpillés dans le désert d’un monde nouveau, ne soient plus représentés sur le globe que par des groupes plus ou moins nombreux d’individus qui ont échappé au désastre. Imaginez la condition de ces créatures livrées désormais aux seules ressources de leur capacité personnelle, les mains vides en face de la formidable nature, les bras désarmés devant les lois de la vie éternelle. Cet être facticement constitué, capable de prospérer par le secours mutuel de la Société qu’il a facticement organisée, mais incapable de subsister par lui-même, devait périr.