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Page:Edmond Haraucourt point-d-honneur 1900.djvu/6

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Bien entendu, ils ne venaient point à ces « rendez-vous d’honneur » sans avoir pris quelques précautions préalables, et l’on n’y voyait guère que des gens instruits à tenir une épée, ou enragés d’une fureur qui valait mieux que la science. Les maladroits évitaient de s’aventurer sur ces tréteaux dangereux, et pour dissimuler leur prudence sous les dehors de la sagesse, rédigeaient d’éloquentes chroniques, contre la sauvagerie d’un jeu digne du moyen-âge, renouvelé des époques barbares de Louis XIII et de Duguesclin, mais intolérable chez un peuple civilisé. Ils blâmaient leurs confrères de consentir à ces exhibitions, invoquaient la morale et la voirie, et poussaient le gouvernement à des mesures répressives.

Mais ce thème fut vite épuisé, et l’homélie des pacifiques dut cesser, faute de lecteurs.

On avait pris goût, en effet, à ces spectacles généreux. Les philosophes qui vont dîner en ville approuvaient hautement ce réveil de l’énergie nationale, et toutes les personnes sensées partageaient une opinion si nettement patriotique.

Quand les peuples parlent trop d’énergie, c’est qu’ils n’en ont guère.

Du reste, ces combats singuliers ne présentaient jamais un sérieux péril : on les arrêtait, comme autrefois, au premier sang et jamais le directeur du Pandœmonia n’eut à se reprocher mort d’homme.

Un soir, cependant, la représentation faillit tourner à mal. Un des adversaires, dans une seconde d’affolement avait écarté de la main gauche l’épée qui le menaçait et d’un coup droit traversé son homme. On emporta le pauvre diable, et la salle, frémissante, hurla. Les partisans du blessé criaient au meurtre, aux bandits, au complot, accusaient le parti tout entier, et les petits bancs se mirent à voler. On échangea des horions, des gifles, des cartes : le duel allait renaître, et la comédie du vrai combat se jouait dans le public. Il fallut baisser le