Page:Edmond Mandey Coeurs en folie, 1924.djvu/13

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Néanmoins, maître Honoré ne se tient pas pour battu. Vraiment, il serait ridicule que sa servante réservât et finit par accorder à un autre ce qu’il convoite d’elle. Non, il s’est bien promis qu’il arriverait à ses fins et il prétend avoir le dernier mot. N’est-il pas fort, après tout, de son prestige et de son autorité patronale ?

Aussi a-t-il décidé qu’il brûlerait ses vaisseaux et s’est-il accordé à lui-même un dernier délai pour avoir raison de la vertu de la pauvre Adèle.

Celle-ci n’a pas été sans remarquer le manège de l’hôtelier. Elle a bien vu à ses façons de lui parler, de tourner constamment autour d’elle, de rechercher les moments où il peut se trouver seul en sa compagnie qu’il nourrissait à son égard des intentions sur la nature desquelles une fille avertie comme elle l’est ne peut se tromper.

Elle en rit en elle-même :

— Va, mon bonhomme, se dit-elle, je suis sur mes gardes et tu te leurres si tu crois me tenir. Tu serais trop heureux et trop fier si je t’accordais ce que j’ai jusqu’ici conservé si précieusement et que je n’entends céder qu’au mari que j’aurai choisi et que je n’ai pas encore trouvé… Tu as trop de prétention !

Mais plus elle va, plus elle sent que l’heure critique approche et qu’il va lui falloir se défendre plus âprement, car maître Honoré, depuis quelque temps, se fait plus pressant, ses allusions deviennent plus transparentes, ses plaisanteries plus osées, ses gestes même plus expressifs. Adèle commence à comprendre qu’il ne lui suffira plus d’affecter, pour repousser les avances de son patron, le ton badin et moqueur qu’elle a adopté jusque-là.

Le printemps a fait remonter la sève dans les arbres, les bourgeons reparaissent, les feuilles repoussent, les garçons redeviennent audacieux auprès des filles, et maître Honoré, comme les autres, en ressent les effets ; il éprouve, lui aussi, un renouveau dont il entend bien faire hommage à la jolie fille qu’il désire.

Or, cet après-midi là, l’occasion lui semble propice, les circonstances le favorisent plus que jamais. En effet, Mme Jeanne est partie depuis le matin, à la ville voisine pour faire des achats et elle rentrera assez tard. Aussi, l’hôtelier estime-t-il le moment venu de se déclarer nettement.

Adèle va et vient dans la salle ; il la regarde complaisam-