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Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/102

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des quilles un peu torses, mais plus fermes que les piliers de la Cathédrale et, ce qui ne gâtait rien au dire des paroissiennes de son habitacle de la Montagne-aux-Cigales, une large caboche plantée de cheveux châtains et crépus, des oreilles en auvent mais régulières, des yeux pers comme les flots tranquilles, une bouche bien fendue aux commissures rabaissées par un pli d’une douceur un peu triste, un menton rond, avancé, le derme rude et le teint rose. Le compagnon asseyait avec autant de dextérité sur l’épaule ou sur le chef la lourde balle de riz guindée du transatlantique qu’il soulevait de terre ses danseuses des bals faubouriens. Tous les dimanches, après s’être astiqué, le fruste garçon partait pour une des guinguettes de la banlieue. Il avait toujours trop aimé la danse pour distinguer la danseuse, lorsqu’un soir, au Robinet, il avisa une particulière vers qui le porta une affinité spontanée et jamais éprouvée auparavant. C’était une brunette de fraîche mine, bien en chair et de taille avantageuse. Il ne détacha les regards des contours montueux de sa poitrine, de la cambrure élastique de ses hanches, de la rondeur presque masculine de ses bras que pour s’extasier au vif incarnat de son teint, à ses lèvres saillantes, à ses yeux bruns injectés d’or. Un émerillonné de l’âge de Flup la chaperonnait. Le chargeur, mordu d’abord par une indicible angoisse, se rasséréna en constatant que le quidam ressemblait étonnamment à sa compagne. La commère dévisageant à son tour ce mastoc tombé en arrêt devant elle, eut à la suite de ce furtif examen une moue approbatrice et un tressaillement qui n’échap-