Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/146

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S’il s’éloigne ne cherche point à l’arrêter. Tu le reverras et pour devenir sa femme.

Ainsi prononça Zanne Hokespokes.

Obéissant aux instructions de la sorcière, Rika laissa s’écouler plusieurs jours en attendant la belle nuit sans nuages et lorsque la lune ronde se montra, elle fit point par point suivant la pratique enseignée.

« — Je te commande, matière charmée, de m’amener l’homme qui doit me blesser comme je te blesse ! »

Une fois… deux fois… trois fois…

Couchée sur le dos, les yeux grands ouverts, l’oreille tendue, elle guetta la vision promise. Dans la mansarde baignée de rayons d’argent presque bleus, les riens sont visibles. Le silence a fermé si complètement les bouches de l’espace que Rika croirait entendre le bruit de la chute de la blanche lumière sur le plancher crépitant.

Parfois elle regrette son impiété, son commerce avec une servante du diable, puis elle se réjouit à l’idée de le voir, celui qui doit l’aimer ; puis, de nouveau, elle appréhende qu’il ne vienne.

Hou ! hou ! Un battant de la porte charretière roule sur ses gonds. Un pas sonore et pressé traverse la cour, sans que le chien vigilant s’en offusque. Maintenant, il ouvre la porte de la cuisine. Clope ! clope ! il monte rapidement l’échelle conduisant à la soupente… La terreur l’étreint, un cri s’arrête dans sa gorge car la trappe s’est soulevée.

Le voilà dans la Chambre. C’est un soldat, un jeune artilleur. Il passe devant elle sans la remarquer, dans la blanche clarté lunaire.