Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/147

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Ah ! Rika n’a qu’à le voir pour l’aimer ; c’est bien lui qu’elle attendait. Il a la figure pleine, la tête casquée de cheveux châtains crépus, une bouche bien fendue, un nez légèrement aquilin, avec des narines dilatées, un menton carré, de larges épaules. Une moustache ravissante ombre sa lèvre. Les galons de brigadier ornent sa manche et des éperons sonnent à ses talons. Quelle course endiablée a-t-il fournie ? Sa robuste poitrine se soulève, il halète bruyamment et s’affale sur l’unique escabeau de la place. Elle voudrait déjà se précipiter vers lui, étancher la sueur sourdant de son grand front. Oppressé, il a déboutonné sa tunique, détaché son ceinturon ; et ses pectoraux saillent triomphants.

Un peu défatigué, sans s’occuper de Rika, il inspecte son uniforme de la botte au bonnet de police. Il constate qu’une des boutonnières de son sous-pied s’est arrachée et que son pantalon remonte. Aussitôt il détache complètement la lanière, tire un canif de sa poche et taille dans le cuir à côté de la boutonnière déchirée une nouvelle ouverture. Puis il rajuste le sous-pied ainsi raccommodé des deux côtés au bas de sa culotte.

Rika ne perd aucun de ses mouvements. Elle admire de plus en plus la crânerie et l’aisance avec lesquelles il manœuvre. Le visage du soldat, animé par la course, parait autrement expressif à Rika que ceux des falots de son entourage sans en excepter ces méprisants Odo et Freek, les deux fils Verhulst qu’elle trouvait assez bien tournés auparavant.

L’inconnu se lève, reboutonne sa veste, se sangle dans son ceinturon, campe son bonnet sur sa tête