Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/35

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cachotier de gamin l’avait reconduite pour ressortir aussitôt après et ne rentrer qu’au premier chant du coq. La bonne dame voyait déjà son fils solidement établi et elle, la mère, bénéficiant largement de l’aubaine. « Le capon ! » se disait-elle intérieurement, toute fière de son héritier, « ne m’avait jamais touché un mot de ses frasques ! » Et, tout haut, devant Lusse, elle se renfrognait, geignait, prodiguait des consolations d’un ton pincé et reprochait à la pauvre dirne d’avoir débauché son petit. « un amour d’enfant, innocent comme un agneau, un saint Jean qui ne reconnaissait les femmes qu’à leur jupon et à leur cornette ».

— Et mon Rombaut, le pauvre fou, sait-il ce malheur ? Lusse répondit que non.

— Eh bien, fit la mère, il faut vous rendre à Bruxelles ! Le mal est fait, il s’agit de le réparer… Je ne m’oppose pas à votre mariage avec mon imprudent garçon, quoique, en toute sincérité, j’eusse préféré pour bru une personne moins mûre que vous.

Lusse passa la nuit chez la veuve, dans la chambre et sur la couchette de l’absent, ce qui l’agita et l’empêcha de dormir ; en revanche, elle réfléchit beaucoup. Aux premières pâleurs de l’aube, elle se rendit à pied vers la gare, située à une lieue de Molvliet et prit son coupon pour Bruxelles, la garnison de son amant.