Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/60

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porte et les volets. Elle se vêtit d’un jupon et d’un caraco et s’élança sur ses pas.

Déjà le combat était engagé au dehors ; l’avant-garde des Taureaux menaçait d’être écharpée par les assaillants. Ils résistèrent héroïquement et donnèrent au gros de leurs camarades le temps de se rallier. Soudain, une clameur féroce s’éleva et les Taureaux fondirent sur les rusés congréganistes. Ils brandissaient leurs instruments comme des massues et en assénaient de formidables coups. Le cuivre et le fer s’entrechoquaient avec un cliquetis fantastique. La bagarre fut effroyable. On ne compte pas les yeux pochés, les nez applatis, les mâchoires démises, les lèvres fendues, les cheveux arrachés, les blouses déchirées, les fonds de culotte emportés, les brayettes élargies, les casquettes et les sabots égarés.

Le petit Baut s’était attaqué au grand Warrè, le falot avec qui il avait à régler un compte pour l’injurieuse complainte de la Béguine et du Piote. Dédaignant les armes, ils luttèrent à coup de poings. Warrè, robuste et bien jambé, avait l’avantage ; les gourmades de l’agile petit carabinier n’arrivaient pas jusqu’à la face mafflue du maroufle, tandis que les poings de celui-ci déchiquetaient complaisamment l’agréable visage de son adversaire. Mais Lusse se jeta à la rescousse de son époux. Elle avait ramassé un fer à repasser et elle en caressa le menton de Warrè avec un tel entrain que le colosse s’effondra. Alors Baut et Lusse le piétinèrent, et des couplets de la chanson de Warrè leur venaient ironiquement aux lèvres. Partout les Taureaux prenaient l’avantage et s’acharnaient sans merci sur les vaincus.