Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/88

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Flandre. Des chapelets de chansons imprimées sur du papier bistre brandillent au vent.

Les tréteaux s’adossent au mur du cimetière. Par-dessus la clôture émergent des croix de bois noir, des têtes de buis, et les saules projettent leurs branches sur la place.

Au milieu veille la petite église et lorsque par les abat-son du clocher d’ardoises tombent les adieux mélancoliques des heures, les badauds absorbés par le chanteur interrogent le cadran pour ne pas manquer la soupe.

Entre les « maisons-boutiques » et les cabarets formant une ceinture au champ des morts, on embrasse la plaine traversée de drèves. Des aulnaies bordant les fossés la coupent en pacages et en labours. Des sentiers zigzaguent entre des taillis de jeunes chênes. Par-ci par-là un corps de ferme trapu, l’air ramassé sous son grand capuchon de glui moussu d’où spirale la fumée de midi. Et, par-dessus ces échappées, rejoignant tout là-bas la ligne infinie de la terre, pesant lourdement, despotiquement sur ce sol aplani, c’est le ciel gris chargé de lavasses mais dans lequel le soleil rédempteur déploie parfois de rouges apothéoses.

Au pied de l’estrade foraine, la houle des paysans : un remous de pyramidales casquettes de soie noire flanquées chacune d’une paire d’oreilles écarquillées, roses et translucides comme des coquillages, — une couche de visages poupards et de tignasses claires, — un fouillis de kiels d’un indigo sombre ballonnant sur les dos ronds, et au bas d’innombrables jambes, grasses